Bonjour les amis !
Je reprends le chemin de ce blog pour continuer de militer et vous faire partager les indignations actuelles à la lecture de cet article qui reprend l’histoire du Brésil et des malheurs successifs des indigènes. Nous avons la chance d’avoir Stéphan Bry, français, basé non loin de Bello Monté qui nous sert à la fois de journaliste et d’ambassadeur.
En vous souhaitant une excellent fin d’été et en vous disant à bientôt via le net, par ici ou par là !
*DoMica*
Brésil : L’interminable massacre du peuple indigène
Source : Conselho Indigenista Missionario
Lundi 13 Aoüt 2012
Traduit du portugais par Stéphan Bry
Quand les Portugais sont arrivés sur la côte brésilienne, ils ne voulaient rien d’autre que l’or et les richesses, tout comme les espagnols lorsqu’ils arrivèrent dans la région centrale d’Abya Yala (nom donné au continent américain par les indigènes Kuna de Panama et de Colombie avant l’arrivée de Christophe Colomb – NDT). Se retrouver en présence d’autres peuples, avec d’autres langues et d’autres manières d’organiser la vie ne posa pas de problème. Ils avaient le pouvoir des armes. C’est ainsi que, par le pouvoir des arquebuses, ils imposèrent un dieu, ils esclavisèrent, décimèrent et détruisirent. L’invasion de Pindorama (mot d’origine tupi – pindó-rama ou pindó-retama, terre/lieu/région des palmiers – qui désignait ce qui deviendra plus tard le Brésil – NDT) n’a jamais été une « rencontre de cultures ». Ce fut un génocide. À cette époque, des millions de personnes ont été tuées à cause de l’avidité des étrangers. « Ils n’ont pas d’âme » disaient les prêtres très pieux. Ceux qui résistèrent s’enfoncèrent dans les forêts, fuirent le littoral et réussirent à échapper à l’extermination pour quelques temps. Mais pas pour longtemps. Avec la colonisation, les Portugais ouvrirent des voies vers l’intérieur et n’économisèrent pas la poudre. Les indigènes étaient rayés de la carte. Puis, avec l’arrivée des immigrants, les indigènes subirent à nouveau des vagues d’extermination.
Le temps passa et les communautés indigènes qui avaient survécu organisèrent leur lutte. Il y eu de mémorables épisode de résistance. Dans la région nord de difficile accès, de nombreux groupes réussirent à survivre. Mais au début du XXe siècle, avec la nouvelle politique nationale d’occupation, une nouvelle fois le contact fut établi avec les indigènes, avec moins de violence physique, mais avec la même intention de nier leur culture et leur mode de vie. l’idée était de les intégrer à la vie nationale, considérée comme étant « la civilisation ». Malgré les bonnes intentions de personnages comme le maréchal Rondon, la décision de cette intégration était unilatérale. Personne n’a demandé aux indigènes si c’était ce qu’ils désiraient. C’était une politique de l’état basée sur l’idée que le mode de vie originel n’était pas bon.
En fait, cette intégration forcée représentait une violence contre ces communautés. Et ceux qui n’acceptaient pas de « s’intégrer » au monde « civilisé » ont dû se parquer dans des « réserves », des endroits préalablement démarqués pour leur « protection ». Ainsi, ceux qui étaient les propriétaires légitimes de ces terres durent vivre de la tolérance des envahisseurs, confinés et dépendants du gouvernement pour pratiquement tout, même de la nourriture. Il ne suffisait pas qu’ils soient sous tutelle, les indigènes se retrouvèrent sur la ligne de feu d’une bataille contre ceux qui s’étaient approprié leurs terres, les fermiers, les trafiquants de terres, les latifundiarios (grands propriétaires terriens – NDT). Les conflits furent nombreux lorsque le Brésil décida de repousser ses frontières agricoles. Les communautés qui se trouvaient sur des terres fertiles se sont vite retrouvées harcelées. Dans la région amazonienne, les richesses en bois et la biodiversité motivèrent la convoitise et, même au plus profond de la forêt, les indigènes durent affronter les mêmes ennemis de toujours : les missionnaires, les trafiquants de terres, les ONG, les gens « bien intentionnés ».
Toutes ces luttes ont toujours eu lieu dans un contexte inégal. Tout d’abord, les indigènes étaient les sauvages qu’il fallait civiliser, puis ils sont devenus les paresseux qui ne voulaient pas travailler dans le nouveau monde qui leur était offert si généreusement. D’une façon ou d’une autre, ils étaient présentés à la nation comme des êtres inutiles, seulement susceptibles d’être reconnus comme « quelque chose d’exotique ». Quand ces communautés commencèrent à lutter, une fois de plus, pour leur territoires, tous ces préjugés revinrent en force. Et les indigènes étaient montrés comme ceux qui empêchaient le progrès du pays. Garantir à ces gens de grandes extensions de terre était considéré comme absurde, car, finalement, ils ne travaillaient pas. Exactement comme les Portugais de 1500, les gens au pouvoir voyaient les indigènes comme des individus de deuxième zone, incapables, retardés, quelque chose qui devait être anéanti. Dans la constitution de 1988, les communautés indigènes ont réussi à conquérir quelques droits. Elles continuaient sous tutelle, mais ont consolidé un espace de lutte dans lequel il était devenu impossible de nier l’importance de leurs actions, de leur culture, de leur mode de vie tellement différent du mode de production capitaliste hégémonique du monde occidental.
Les luttes actuelles
À la veille du XXIe siècle, apparut sur toute la planète un gigantesque mouvement de récupération de la mémoire des cultures qui avaient été opprimées par le colonialisme européen de la période qualifiée de « modernité ». Dans les années 90, encore dans le XXe siècle, les communautés de l’Équateur envahirent la capitale Quito, occupèrent les églises et décidèrent de prendre en main leurs propres vies. En 1994, les Indiens du Chiapas, au Mexique, s’insurgèrent aussi, et en armes, prirent des villes et décidèrent que jamais plus le monde ignorerait leurs revendications. Puis les luttes s’éparpillèrent dans toute la région andine, en Amérique du sud et centrale, aux Caraïbes, en Amérique du nord (États Unis et Canada). Mais pas au Brésil. Les communautés, muettes depuis 500 ans, se levaient avec leurs mots, leurs mythes, leurs visions du monde. Elles voulaient gérer leurs vies et protéger leurs territoires, systématiquement consumés par l’ambition vorace du capital.
Pour ces peuples, la terre n’est pas l’objet de spéculation, c’est un espace sacré. La terre est la mère de la vie, l’eau est le lieu des dieux, les animaux font partie d’un système équilibré de survie. Ces choses là n’ont pas de prix, elles ont de la valeur.
Pour les hommes du pouvoir, ce mouvement indigène doit être freiné. Ils n’acceptent pas de perdre leur domination sur la terre, car beaucoup de ces terres regorgent de richesses. Leurs arguments sont simplistes : les Indiens ne savent pas protéger leurs territoires, ils vendent le bois contre de l’alcool, ils ne connaissent pas les instruments du progrès. Autrement dit, ils n’auraient pas les moyens de gérer avec sagesse les terres qui leur sont confiées. Ainsi, personne n’est plus apte qu’eux, les capitalistes, de diriger et de contrôler les territoires. Ils sont travailleurs, ils entreprennent, ils peuvent apporter le progrès, comme c’est le cas avec les barrages en construction en Amazonie. Cela est prendre soin, cela est protéger, cela est donner une fonction sociale à la terre. Pas cette idée indigène de laisser la terre sans utilisation, ce qui est pour eux un anti-progrès. C’est ainsi que se poursuit ce bras de fer tellement inégal. Il suffit d’un regard sur Bello Monte pour constater les dégâts causés à la forêt, à la biodiversité, aux familles riveraines. Les Indiens résistent et sont suffoqués par les armes et les préjugés. Et avec la déroute des Indiens vient la misère de tous ceux qui vivent là, parce que le « progrès » des capitalistes signifie le progrès pour seulement quelques uns.
Comme si ne suffisait pas toute cette histoire d’extermination, de préjugés et d’oppression, l’Advocacia Geral da União (AGU, organisme juridique fédéral chargé du conseil et de la défense des intérêt du gouvernement – NDT) décide d’émettre une ordonnance contraire aux lois nationales et internationales. Cette ordonnance étend à toutes les terres indigènes ce qui avait été décidé par le Supremo Tribunal Federal (STF – instance judiciaire supérieure, NDT) contre la Terre Indigène Raposa Serra do Sol. Que cela signifie-t-il ? Une atteinte de plus à la vie des 800 mille Indiens qui résistent encore dans ce pays.
Le Brésil à contre-courant
Concrètement, cette ordonnance permet que les terres indigènes soient occupées par des unités ou des postes militaires, des réseaux routiers, des projets hydro-électriques ou miniers considérés stratégiques, sans que les indigènes soient consultés à ce sujet, chose qui va à l’encontre non seulement de la constitution mais aussi de la convention 169 de l’Organisation Internationale du travail (OIT). Cela permet aussi qu’il y ait une révision des démarcations en cours ou déjà réalisées, violant ainsi l’autonomie des peuples sur leurs territoires. De cette façon, le gouvernement retire aux communautés la possibilité de décider elles mêmes de l’utilisation des richesses qui existent sur leurs territoires. Autrement dit, il s’agit de la remise aux capitalistes du droit d’exploiter.
Une autre manière de faire pression sur les communautés est de transférer à l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiversité (ICMBIO) le contrôle des terres indigènes sur lesquelles ont été créées illégalement des Unités de Conservation.
dans le rôle de destructeurs, de pollueurs
et d’envahisseurs de réserves environnementales De manière perverse, cela met les indigènes
L’ordonnance 303 de l’AGU est l’instrument moderne de domination des mêmes vieux oppresseurs. Si ces instruments étaient autrefois des arquebuses, c’est aujourd’hui la loi. Et le plus surprenant, une loi qui viole la constitution. La décision du STF n’a de validité que pour la zone de Raposa Serra do Sol qui représente déjà une grande déroute pour les peuples indigènes. La lutte contre cette décision spécifique du STF est loin d’être terminée. Les indigènes qui vivent à Raposa Serra do Sol ont fait appel de cette décision, et il existe encore des points non jugés. Comment l’AGU peut-elle donc émettre une ordonnance qui étend des décisions qui ne sont pas encore définitives dans cette zone ? Et qui prétend que l’AGU a le pouvoir de faire cela ? Seul le Congrès National peut légiférer sur les terres indigènes. La réponse à ces question ne peut être trouvée que dans la pression exercée par les latifundiarios et les entreprises qui souhaitent occuper et exploiter des terres riches aujourd’hui entre les mains des Indiens.
Le monde moderne est un monde en lutte pour l’énergie. Le pétrole s’épuise et tout le mode de production capitaliste – qui est par essence destructeur – est en faillite. C’est pour cela que ceux qui obtiendront le contrôle de l’eau et de la biodiversité seront, sans aucun doute, ceux qui domineront le monde. Ce n’est pas pour rien que de grandes extension de terres sont achetées par des investisseurs internationaux dans des régions comme le Pantanal, l’Amazonie, l’aquifère Guarani, justement dans des endroits où les indigènes sont un frein à la domination des ressources et des richesses. Le gouvernement brésilien, en suivant la même logique que la majorité de ses prédécesseurs, est disposé à concéder des droits à ces « entrepreneurs », en condamnant une fois de plus les indigènes à l’extermination, et la population en général à la dépendance.
Si l’ordonnance 303 est adoptée, n’importe quelle terre indigène déjà démarquée pourra être retirée des communautés, si elle contient quelque chose qui intéresse ces gens-là, toujours prêts à sucer les richesses du pays. Et cela va amplifier encore plus les conflits déjà existants, dans lesquels les communautés indigènes sont nettement en désavantage, comptant quotidiennement leurs morts. Comment se battre contre des milices fortement armées ? Comment se défendre de ces milices et des mercenaires bien entrainés, des francs-tireurs, des tueurs à gage ? C’est l’histoire qui se répète.
Seule l’union garantit la vie
Pour la population, le gouvernement fait une propagande et utilise les moyens de communication en mentant sans vergogne au sujet du dialogue et du respect des droits indigènes. Mais dans la pratique, la politique suit sa logique d’extermination et de massacre des cultures autochtones. À contre-courant de tout ce qui se passe en Amérique Latine, où les peuples premiers conquièrent chaque jour un peu plus de droits, le gouvernement brésilien est en plein recul, allié à l’agro-industrie et aux intérêts internationaux, et condamnant toute la population aux griffes de l’éternelle dépendance.
Il faut que les Brésiliens connaissent ce qui qui se cache derrière les textes de loi. Que les syndicats informent les travailleurs, que soit réalisée une alliance entre les travailleurs des villes ou des campagnes et les communautés indigènes. Ces 800 mille Indiens qui résistent encore au massacre débuté en 1500 sont notre héritage historique, la cellule mère de notre culture, un héritage immortel, une partie constitutive de notre essence en tant que peuple. Défendre leur droit de vivre sur les terres qu’ils occupaient depuis toujours, de préserver leur mode de vie, leurs dieux, leur vision du monde, de gérer leurs richesses selon des principes qui leur sont propres, tels que l’équilibre environnemental et la réciprocité, c’est garantir la possibilité de construire une autre société, juste et souveraine.
Il n’est pas possible que les Brésiliens (et le reste de l’humanité – NDT) permettent que nos richesses soient remises aux puissants de service, aux étrangers, aux soi-disant « hérauts du progrès » qui ne sont en fait rien d’autre que les destructeurs de la vie. Les communautés indigènes nous montrent qu’il existe d’autres formes de vie, un autre « progrès », un autre modèle de développement. Nier cela c’est être complice d’un crime, c’est agir comme agissaient les envahisseurs, les assassins, c’est défendre le massacre.
Nous avons déjà assez de sang indigène sur les mains.
Il faut répudier l’ordonnance 303.
Que l’humain cesse de vouloir régner en maître, il ne l’est pas !